|
17/04/12Les États-Unis, leaders de la civilisation occidentale ?Dans les pays de la région Asie-Pacifique, la notion d’Occident n’évoque généralement qu’un seul pays, les États-Unis d’Amérique. Si la civilisation occidentale à laquelle se réfère Huntington existe, elle doit pourtant inclure également, dans la zone qui nous intéresse, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Oublions un instant, si vous le voulez bien, la caricature de l’Amérique des McDo, des GI bardés d’équipements toujours plus sophistiqués, de CNN et de Larry King, de l’industrie cinématographique ennemie jurée de l’exception culturelle française, du lobby juif, du gendarme du monde. Diversité religieuseLe principe de séparation des Églises et de l’État est rigoureusement appliqué aux États-Unis, le Premier Amendement garantissant la non ingérence de l’État dans les religions et la liberté de culte. Cela entraîne d’ailleurs une totale liberté d’action pour des sectes considérées en France comme nuisibles, notamment la scientologie et certains groupes millénaristes se signalant de temps à autre par des actions dramatiques. En 2004, 75% des Américains se déclaraient croyants et 43% pratiquants. Cela tranche avec le déclin très marqué des religions en Europe, même si un recul est également observé aux États-Unis. 80% des Américains se proclament chrétiens (ce chiffre inclut, bien sûr, les non croyants qui se reconnaissent dans la culture chrétienne). Un tiers des chrétiens sont catholiques, les deux autres tiers se répartissant essentiellement entre les multiples obédiences protestantes. En moyenne, un Américain protestant change trois fois d’Église au cours de sa vie. Les orthodoxes, les témoins de Jéhovah, les mormons et la multitude de sectes se réclamant du christianisme ne représentent qu’une frange de cette population qui se dit chrétienne. Les protestantsLe protestantisme américain, c’est la Bible Belt du vieux Sud avec ses fondamentalistes évangéliques fuyant comme la peste l’abomination « papiste », ce sont les baptistes du Sud-Est, ce sont les baptistes noirs qui, dans les années 1950 et 1960 ont lutté pour les droits civiques derrière Martin Luther King, ce sont les méthodistes, épiscopaliens et presbytériens qui recrutent principalement leurs fidèles dans la classe moyenne, ce sont les austères luthériens du nord, ce sont les télévangélistes se rattachant peu ou prou au mouvement charismatique, ce sont aussi l’Église biblique chinoise ou l’Église baptiste coréenne. Les catholiquesLes catholiques sont majoritaires à New York, à Boston, à Philadelphie, à Chicago où sont présents en grand nombre les descendants d’immigrants irlandais, polonais et italiens, ainsi qu’à la Nouvelle-Orléans où sont très nombreux Cajuns et Créoles. Ils prédominent également là où la minorité « latino » est forte, comme Miami et San Antonio. Les juifsL’Amérique, ce sont encore 5 millions de juifs hassidiques ou libéraux, qu’il ne faut pas confondre avec le lobby du même nom. Rassemblés surtout dans les plus grandes villes, ils ont avec les populations noires et antillaises des rapports tendus. Les musulmansL’Amérique, nous l’avons vu, ce sont 2 millions de musulmans pratiquants, surtout des Noirs attirés dans les années 1960 par ce qui leur apparaissait comme la religion de libération des peuples exploités. Sans religionSi l’on ajoute 9 millions de bouddhistes, d’hindous, d’adeptes de sectes non chrétiennes et d’autres religions, il reste 45 millions (15%) d’Américains agnostiques ou athées, chiffre qui a doublé en dix ans. Pour sommaire qu’il soit, ce tableau est plus nuancé que l’image d’un peuple uni dans une religion. Pour autant, la laïcité américaine s’exprime dans le respect de toutes les religions et, si l’on prête serment sur la Bible (livre saint de la très grande majorité des Américains), les références à Dieu se veulent neutres à l’égard de tous les monothéismes. Diversité ethnique et socialeImmigrants d'EuropeCette disparité religieuse reflète en partie l’effondrement du mythe du melting pot, les communautés vivant géographiquement et socialement séparées. 36 millions d’Américains, soit plus de 12% de la population, sont nés à l’étranger et un tiers des Américains se réclament d’ancêtres appartenant à une minorité. Ajoutons les quelque 11 ou 12 millions de clandestins, Latino-Américains surtout, vivant dans le pays. Nous avons vu que les descendants des immigrants italiens, irlandais et polonais sont regroupés dans le nord-est. Les Hispaniques, qu’il s’agisse d’Américains de souche, de Portoricains ou d’immigrants d’Amérique latine (Mexique, Colombie et Cuba surtout), représentent 13% de la population et sont désormais plus nombreux que les Noirs. Ils sont 38% au Nouveau Mexique, 25% en Californie et au Texas, 20% en Floride. 29% d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit plus du double de la moyenne américaine (14%). NoirsLa part des Noirs (dire les Afro-Américains est politiquement correct) dans la population américaine continue à s’accroître, moins rapidement, il est vrai, que celle des Hispaniques qui bénéficient d’une importante immigration, pour moitié illégale. 85% de ces Noirs vivent dans des villes où ils sont parfois majoritaires : 76% de la population de Detroit, ancienne capitale mondiale de l’automobile aujourd’hui sinistrée, 80% à Washington (qui est, il est vrai, avant tout une cité de bureaux), 40% à Chicago, Philadelphie et New York. 33% vivent en dessous du seuil de pauvreté. AsiatiquesLes Asiatiques, notamment les Japonais (850.000) constituent l’exception de l’intégration dans l’économie du pays, ce qui ne signifie pas assimilation. La discrimination positive dans l’enseignement supérieur ne s’applique pas à eux. AmérindiensLes Amérindiens, dont la population était passée de 1 million au XVIème s. à 230.000 au début du XXème s., sont à présent 815.000. Ce n’est qu’en 1924 que leur a été accordée la citoyenneté américaine et ils constituent la frange la plus misérable et la moins bien intégrée de la population. Près de 50% d’entre eux vivent dans les villes, notamment à Los Angeles (80.000) et San Francisco (40.000) où ils occupent des emplois peu qualifiés. Une civilisation pourtantEt pourtant, de cette diversité émerge, au moins dans les moments où est perçue une menace, le sentiment d’appartenance à une nation. Cela a été le cas lors de deux tragédies où le pays a pris conscience de sa vulnérabilité : Pearl Harbour et le 11 septembre 2001. On remarquera d’ailleurs que les élections se jouent, aux États–Unis, tantôt sur des thèmes sociaux, tantôt sur des thèmes moraux : c’est dans ce second cas que se réveille le sentiment d’existence d’une civilisation occidentale dont le pays serait le leader et le protecteur. En tout état de cause, les hommes politiques se réfèrent toujours à Dieu, notion qui a une même signification pour les juifs et les musulmans que pour les protestants et les catholiques. Cela indique davantage une révérence à un sentiment religieux diffus, divers et d’ailleurs surévalué que l’existence d’une civilisation fondée sur des valeurs communes. Avant de quitter les États-Unis, nous mentionnerons un fait géopolitique aussi important qu’évident qui, pourtant, échappe à l’analyse de Samuel Huntington : ce pays est « bi-maritime », il est tout autant pacifique qu’atlantique, donc géopolitiquement aimanté autant par l’Asie que par l’Europe. Ceci est particulièrement important si nous prenons en considération le fait que la prospérité américaine est intimement liée aux investissements du pays tant en Asie qu’en Europe et aux cours des matières premières et du pétrole. Si nous considérons le Pacifique insulaire et non ses marges, le Pacifique nord apparaît comme un lac américain tandis que dispute la domination du Pacifique sud à la France et au Royaume-Uni. Il est à noter que, avec la perte d’importance stratégique des relais insulaires, les États-Unis apparaissent aujourd’hui en retrait dans le Pacifique nord et en Micronésie. |