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17/04/12Au Xinjiang : l’islam, bannière de la révolteIl n’en va pas de même pour les musulmans du Xinjiang. Pour eux, les Chinois sont des occupants étrangers. Tant qu’ils sont restés largement majoritaires dans leur province dite « Région autonome ouïgoure du Xinjiang », la tutelle de Pékin demeurait tolérable. Mais la colonisation chinoise à partir des années 1950 a bouleversé l’équilibre ethnique de leur pays : chaque année, le pouvoir central installe 300.000 Han dans le Xinjiang. Aujourd’hui, sur 18 millions d’habitants, les Ouïgours ne sont plus que 40% (7 millions) contre autant de Han, le reste étant composé de Kazakhs (7%), d’autres ethnies turcophones et de Tadjiks. Dans les campagnes, les Han forment des colonies agricoles homogènes qui n’ont guère de contacts avec les musulmans mais les communautés chinoise et indigène cohabitent difficilement dans quelques villes (Urumqi, Yining , Korgas) où ils habitent des quartiers séparés et où la différence de leurs niveaux de vie est palpable. Il existait naguère un exutoire au particularisme des indigènes du Xinjiang : le mouvement des meshreks, assemblées villageoises qui visaient à maintenir en vie les us et coutumes locaux. Dans le cadre de la politique de sinisation de la société, ces manifestations sont interdites depuis 1995. Dès les années 1950 des révoltes ont éclaté,
aboutissant en 1962 à une répression policière qui a entraîné l’exode de
plusieurs dizaines de milliers d’Ouïgours vers le Kazakhstan et les autres républiques
de l’Asie centrale soviétique. Cette diaspora n’a cessé depuis de gonfler
et comprendrait aujourd’hui entre 500.000 et un million de personnes.
L’activisme de cette diaspora inquiète Pékin pour qui le séparatisme est
devenu une préoccupation majeure. Les autorités font l’amalgame du séparatisme,
du nationalisme, de l’islamisme et du terrorisme, se défiant des autorités
indigènes et confiant la réalité du pouvoir à des Han. Cela exacerbe
encore les tensions. En 1997, les frictions entre les deux communautés à Yining ont dégénéré en émeutes violemment réprimées par la police. Environ 100.000 personnes y auraient perdu la vie. Depuis lors, les Ouïgours et autres Kazakhs sont encadrés et surveillés de près par les autorités communistes et plus aucune manifestation de masse n’a été observée. On n’assiste plus qu’à des attentats isolés et dépourvus de lien : incendies volontaires, assassinats, bombes… Radicalisme islamique, terrorisme, trafic de drogue, voilà les accusations portées par Pékin contre l’islam ouïgour. Les mérite-t-il ? Il est certain que les musulmans de la région éprouvent de fortes réticences à l’égard de l’islam officiel de l’Association islamique de Chine qui collabore trop étroitement avec les autorités. Depuis le 11 septembre 2002, les Américains feignent d’accepter les justifications que donne le pouvoir central à sa répression. Le 2 décembre 2002, lors d’une visite de Vladimir Poutine à Pékin, les deux pays se sont engagés à coopérer dans la lutte contre le terrorisme. Cela va peut-être plus loin qu’un soutien mutuel face au monde dans leur combat respectif contre les séparatismes tchétchène et ouïgour, il peut s’agir de la promesse russe de rechercher et d’arrêter ou de neutraliser les séparatistes ouïgours réfugiés en Asie Centrale. L’islamisme radical ? Il existe, bien sûr : comment des populations crispées sur un particularisme religieux qui transcende un sentiment national trop faible seraient-elles insensibles aux prêches de missionnaires venus du Pakistan ou du Moyen-Orient ? Ce n’est pas pour autant un phénomène répandu même si quelques dizaines d’Ouïgours, formés dans les madrasas pakistanaises, étaient présents aux côtés des taliban afghans. Par ailleurs, les liens sont nombreux et les frontières pour le moins poreuses entre les musulmans du Xinjiang et ceux de l’Asie Centrale naguère soviétique où des mouvements violents mêlant extrémisme religieux et passions nationalistes perdurent. Le terrorisme ? Tant que des bombes exploseront, c’est qu’il y a des terroristes pour les mettre en œuvre. Certains y voient des provocations de Pékin pour justifier la répression mais les autorités n’ont nul besoin de se compromettre, la colère de Ouïgours suffit à susciter des vocations. Ces attentats ne présentent néanmoins nullement le caractère d’actions concertées et bénéficiant du soutien d’une organisation, il s’agit plus vraisemblablement d’actes isolés ou du fait de groupuscules. Le trafic de drogue ? Il existe également. Comment pourrait-il en être autrement dans une région troublée au contact du Triangle d’Or ? Banditisme, trafics, corruption existent partout en Chine et le Xinjiang est loin de faire exception. Peut-on parler de réseaux criminels dont les membres se trouvent être musulmans, ou des organisations islamistes ou indépendantistes recourent-elles au trafic de drogue pour financer leurs activités ? Les deux hypothèses se vérifient probablement, tout comme dans le sud des Philippines, mais ni l’une ni l’autre ne rend vraiment compte de l’ensemble du phénomène religieux dans l’Asie centrale chinoise. Ajoutons que pour le gouvernement central le Xinjiang présente un intérêt stratégique du fait qu’il recèle des réserves de pétrole et qu’il constitue le passage obligé de l’écoulement du pétrole du Kazakhstan vers l’est. Dès lors, tenir sous contrôle ces populations agitées est une nécessité. On pense à la Tchétchénie… |