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Karl Haushofer (1869-1946) :

le temps des hégémonies

Karl Haushofer est celui par qui la géopolitique est descendue dans l’enfer des disciplines politiquement incorrectes de 1945 au milieu des années 1980. Cela est dû à l’exploitation idéologique que les nazis ont faite de ses théories. Était-il un nazi lui-même ? Certainement pas. Certes, ses rapports avec le parti au pouvoir ont été ambigus, comme l’étaient ceux de quiconque avait une position en vue et s’efforçait de survivre. Mais lui-même et sa famille ont souffert des persécutions nazies.

Le contexte historique dans lequel s’inscrit l’œuvre de Karl Haushofer est opposé à ce que nous avons décrit à propos de Friedrich Ratzel. Général de l’armée allemande, Haushofer a quitté l’armée, profondément traumatisé, en 1918 et ne s’est plus préoccupé, jusqu’en 1945, que de géopolitique, discipline qu’il définissait comme une « conscience géographique de l’État ». C’est à l’occasion de voyages aux Indes, en Extrême-Orient, en Sibérie et en Russie qu’il a pris conscience, comme Ratzel après avoir visité les États-Unis, d’une géographie des grands espaces. Influencé par le livre « l’État comme une forme de vie » de Kjellen, il attachait une importance fondamentale à la relation organique entre le territoire et la population.

Deux concepts sont au centre de la géopolitique de Haushofer : celui de Deutschtum, que l’on pourrait traduire « germanité », communauté de civilisation allemande, et celui de Lebensraum, mal traduit « espace vital » (il vaudrait mieux dire « espace de vie »), impliquant la nécessité pour l’État de déployer librement ses virtualités. Cela impliquait la création de grands ensembles, avant tout d’une grande Allemagne. L’idée était de permettre à l’État d’être économiquement autarcique afin de disposer d’une totale liberté d’action. Fidèle en cela à la géopolitique de Ratzel, il considérait que l’espace vital d’un État en phase de croissance était constitué par des pays dont la démographie était moins vigoureuse et dont la puissance économique était moindre. La France de l’entre deux guerres ne constituait donc nullement l’espace vital de l’Allemagne qui se situait bien plutôt en Europe de l’Est.

Le plus sûr moyen d’atteindre à cette autarcie est, naturellement, d’imposer son hégémonie sur le monde mais cela n’est pas réalisable. Les États politiquement forts doivent donc se ménager des zones d’hégémonie leur conférant l’accès à toutes les ressources nécessaires. Le pétrole n’apparaissant pas encore comme une ressource essentielle, cela conduisait à l’idée de grandes zones d’hégémonie du Nord sur le Sud, ce que Haushofer appelait les Pan-Ideen. François Thual et son disciple Aymeric Chauprade traduisent ce mot par « panismes ».

Il y a, en fait, une certaine ambiguïté dans ce terme de Pan-Ideen. Il recouvre à la fois l’idée déjà ancienne d’unités géographiques, ethniques et culturelles, comme le pan-islamisme, le pan-turquisme ou le pan-slavisme, et l’idée de domination de groupes ethniques et culturels sur leur espace vital. À cet égard, Haushofer distinguait essentiellement quatre zones d’hégémonie :

  • une zone pan-européenne recouvrant l’Afrique ; l’hégémon en aurait été, bien sûr, l’Allemagne,
  • une zone pan-américaine dominée par les États-Unis (voir la doctrine Monroe !),
  • une zone pan-russe incluant l’Asie centrale et le sous-continent indien,
  • une zone pan-asiatique dominée par le Japon, recouvrant l’Extrême-Orient, l’Asie du Sud-Est et le Pacifique Nord (projet que le Japon a tenté de mener à bien).

À l’idée pan asiatique, Haushofer proposait la variante de l’idée pan-pacifique répondant au désir des Américains de s’ouvrir le marché chinois. La Grande-Bretagne, on le voit, n’avait pas sa place dans ce vaste projet. Bien au contraire, l’idée centrale était de disloquer l’empire britannique : dans ce but, Haushofer ajoutait une idée pan-indienne incluant l’océan Indien et une idée pan-australienne impliquant une domination australienne sur le Sud-Pacifique.

D’ailleurs, Haushofer constatait que le leadership britannique était en déclin et que les États-Unis étaient en passe de lui succéder. Pour l’Allemagne, l’essentiel était de rompre la ceinture coloniale qui la plaçait en situation de dépendance.

Il est quelque peu humiliant pour nous de constater que la France était absente des projets de Haushofer et ne figurait pas non plus comme l’ennemi à abattre.

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